La présidente de Radio France, Sibyle Veil, a défendu mercredi devant les députés le "pluralisme" du groupe, en jugeant que la vidéo qui a déclenché l'affaire Legrand-Cohen avait été "instrumentalisée" pour accuser l'audiovisuel public de partialité pour la gauche.
Entendue par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la neutralité et le financement de l'audiovisuel public, Mme Veil a admis que cette vidéo contenait des propos "problématiques", mais fait valoir qu'ils n'engageaient pas son entreprise.
"On a fait dire beaucoup de choses à cette vidéo, mais le soupçon de complot politique (...) ne tient pas", a assuré la dirigeante. "Ce que je déplore, c'est qu'elle a été instrumentalisée", a-t-elle ajouté.
Diffusée début septembre par le magazine de droite conservatrice L'Incorrect, elle montrait les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen, tous deux intervenants sur l'audiovisuel public, en discussion avec deux cadres du Parti socialiste dans un restaurant.
M. Legrand évoquait les stratégies de la gauche aux prochaines élections et lâchait, au sujet de la candidate de la droite parisienne et ministre de la Culture, Rachida Dati: "Nous on fait ce qu'il faut pour Dati, Patrick (Cohen) et moi".
Les deux journalistes ont dénoncé un montage et porté plainte.
- "Fanfaronnade" -
Les propos tenus par M. Legrand "m'apparaissent problématiques", mais n'ont "pas été dits au nom de Radio France ou de France Inter", a déclaré Mme Veil, en y voyant une "maladresse", une "fanfaronnade".
Thomas Legrand a "démissionné de la rédaction de France Inter en 2022" pour devenir éditorialiste à Libération, et c'est à ce titre qu'il continuait à intervenir sur cette radio.
Il rencontrait les responsables socialistes "en tant que journaliste de Libération", et les discussions portaient sur "des éditoriaux qu'il a écrits dans (ce) journal", a insisté la patronne de Radio France.
"Je regrette très fortement la violence et la virulence des attaques qui se sont abattues sur l'audiovisuel public et qui ont même conduit à l'existence de cette commission", a-t-elle martelé.
L'affaire Legrand-Cohen a été le catalyseur d'une guerre ouverte entre l'audiovisuel public et les médias dans le giron du milliardaire conservateur Vincent Bolloré, CNews, Europe 1 et le Journal du dimanche (JDD). Ces derniers y ont vu dans un signe de partialité du service public en faveur de la gauche, tout comme une partie de la droite et le RN.
France Télévisions et Radio France ont contre-attaqué en poursuivant ces médias en justice pour "dénigrement".
- "80 centimes par mois" -
MM. Cohen puis Legrand seront entendus jeudi par la commission d'enquête. Elle a été créée dans la foulée de l'affaire par le groupe UDR d'Eric Ciotti, allié du Rassemblement national, qui prône la privatisation de l'audiovisuel public.
Son rapporteur, le député UDR Charles Alloncle, a interrogé Mme Veil sur des affirmations égrenées depuis mardi sur Europe 1 à propos d'une autre rencontre dans un café entre Thomas Legrand et l'ex-directrice de France Inter, Laurence Bloch.
Cette dernière y aurait demandé au journaliste de "rompre toute collaboration avec la station" pour protéger Radio France.
"Je m'étonne qu'(...) on ne puisse plus, entre anciens collègues, être dans un café sans voir ces discussions relatées dans la presse", a commenté Mme Veil. "Ca me fait penser à la RDA, quand tout le monde était sur écoutes, c'est un peu le film +La vie des autres+" (sur l'espionnage dans l'ancien pays communiste, ndlr).
Dans la matinée, sur France Inter, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a "rappelé à l'ordre" M. Alloncle, en craignant que la commission ne soit utilisée "à des fins politiques". Le rapporteur y a vu une "tentative de déstabilisation".
Au-delà de la seule affaire Legrand-Cohen, Mme Veil a déploré la "distorsion" entre la "réalité" de l'audiovisuel public et "l'image qui est renvoyée".
Sur le financement, la dirigeante a contesté que son groupe coûte "trop cher": "Radio France coûte 80 centimes par mois et par Français".
Elle a par ailleurs annoncé le lancement par le groupe d'un outil numérique pour mesurer son pluralisme, consultable en ligne par le public.
D.Moerman--LCdB