Le rugissement d'un avion de chasse dans le ciel de Diyarbakir interrompt brièvement son récit. "Essayez donc d'expliquer la paix aux gens... La méfiance persiste".
Face à un thé, en tee-shirt bleu et jean moulant sur la place principale de la plus grande ville à majorité kurde de Turquie (sud-est), Yüksel Genç secoue ses boucles auburn en confiant ses doutes sur le processus de paix entre Ankara et les combattants du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan.
"La guérilla est sincère, mais elle pense que l'Etat ne l'est pas et que l'exécutif ne lui fait pas confiance", affirme l'ancienne combattante.
Après 41 ans de lutte armée qui ont fait au moins 40.000 morts, le mouvement a annoncé sa dissolution à l'appel de son chef historique, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999.
À 50 ans, YÜksel Genç, qui a purgé de nombreuses années de prison, continue son combat par la plume pour faire valoir les droits des Kurdes qui représentent environ 20% de la population turque.
Elle a rejoint le PKK en 1995 à l'âge de 20 ans alors qu'elle commençait l'université à Istanbul.
"À cette époque beaucoup de villages kurdes étaient incendiés, des assassinats jamais élucidés. On se sentait coincé, sans autre choix que rejoindre la guérilla", justifie-t-elle, évoquant "une terrible répression" des autorités contre la communauté kurde.
Quatre ans plus tard, en février 1999, le fondateur et chef historique du PKK Abdullah Öcalan est arrêté à Nairobi au terme d'un exil à travers plusieurs pays.
"La capture d'Öcalan a provoqué une immense colère au sein de la guérilla, une rage profonde. Avec le sentiment que la cause kurde serait anéantie. Ce climat aurait pu déclencher une grande vague de violence en Turquie".
Mais Öcalan prône l'apaisement avec les autorités et appelle des combattants à se rendre en formant deux "groupes de paix et de solution démocratique", espérant qu'Ankara répondra à ce geste.
- "Sans arme" -
Yüksel Genç fait partie du premier - "trois femmes et cinq hommes" - à se rendre le 1er octobre 1999. Un second suit en novembre.
"Monsieur Öcalan pensait que la solution à la question kurde en Turquie était désormais possible sans arme, par la voie démocratique. Que notre arrivée symboliserait la bonne volonté" du PKK. "Qu'elle persuaderait l'Etat de négocier".
Elle admet le caractère "sacrificiel" de cette reddition dans le village de Semdinli (sud-est), au terme d'une longue marche dans les montagnes, guettés par "des milliers" de militaires "postés entre les rochers".
Transférés à Van, les combattants sont arrêtés cinq jours plus tard. Yüksel Genç passe cinq ans et demi en détention.
"Pour nous ces groupes de paix, c'était une mission. La solution devait passer par le dialogue", défend-elle sans rancoeur pour les ordres du chef qui l'ont envoyée derrière les barreaux.
Plusieurs fois poursuivie, arrêtée et de nouveau incarcérée trois ans et demi pour ses écrits, la quinquagénaire, journaliste associée au think tank "Sosyo Politik" à Diyarbakir, constate que "travailler pour la paix en Turquie a un coût".
"Malheureusement, les efforts du PKK pour devenir une organisation pacifique ont échoué".
L'arrivée de l'AKP du président Recep Tayyip Erdogan au pouvoir "qui remplace le vieux système et l'esprit militaire" suscite l'espérance d'une nouvelle donne dans les années 2000, et un nouvel appel d'Öcalan à cesser le feu. Sans effet.
Aujourd'hui? "L'Etat est impliqué dans le processus. Mais parler de négociation reste extrêmement difficile", estime-t-elle.
"Le PKK, comme en 1999, évolue vers la lutte non-violente. Déposer les armes n'est pas la fin du combat. Le Parti se prépare à devenir une organisation politique", avance-t-elle. Mais "on a le sentiment d'avoir entamé un processus beaucoup plus difficile".
- "Un océan d'insécurité"-
Yüksel Genç ne parle pas d'espoir: "La vie nous apprend à être réaliste: il n'y a guère de différences entre les sentiments de la population et ceux de la guérilla: des années d'expérience ont généré un océan d'insécurité. La guérilla ne semble pas faire confiance à l'Etat".
"Elle a montré son courage en déposant les armes sans avoir été vaincue. Mais elle ne voit pas de résultat concrets".
En face, le gouvernement, qui a initié le processus de paix à l'automne dernier, n'a rien annoncé, rien promis, remarque-t-elle.
"Pourquoi les prisonniers malades ne sont-ils pas libérés? Et ceux qui ont purgé leur peine? Pourquoi ne profitent-ils pas du climat de paix?". Et Abdullah Öcalan est toujours détenu à l'isolement au large d'Istanbul.
Le nombre de détenus considérés comme membres ou proches du PKK n'est pas divulgué par les autorités.
"Le fait qu'Öcalan ne soit toujours pas en situation de conduire le processus vers une solution politique démocratique est un handicap majeur du point de vue de la guérilla", insiste-t-elle.
"Même notre quotidien reste complètement façonné par les contraintes sécuritaires, dans toute la région. La présence militaire, les barrages, tout ça devrait changer".
N.Lambert--LCdB