L'Inde et le Pakistan se sont mutuellement accusés jeudi de ne pas contrôler leurs armes nucléaires, réclamant au monde d'"enquêter" et de "surveiller" l'arsenal du voisin, quelques jours après leur confrontation militaire la plus grave des deux dernières décennies.
"L'arsenal nucléaire pakistanais devrait être placé sous la surveillance de l'AIEA", a déclaré le ministre indien de la Défense Rajnath Singh en visitant les troupes au Cachemire indien.
"Je veux poser la question au monde entier: est-ce que des armes nucléaires sont sûres lorsqu'elles sont aux mains d'une nation incontrôlable et irresponsable", a-t-il poursuivi.
Le Pakistan a condamné ces propos, ajoutant que "si elles doivent s'inquiéter, alors l'AIEA et la communauté internationale devraient le faire au sujet des vols répétés et des incidents liés au trafic impliquant du matériel nucléaire et radioactif en Inde".
Le ministère des Affaires étrangères à Islamabad évoque ensuite des incidents survenus selon lui en 2021 et "suggérant l'existence d'un marché noir de matériaux sensibles et à double usage en Inde". Il réclame à ce sujet "une enquête approfondie". Des accusations que l'Inde n'a pas commentées jusqu'ici.
L'Inde et le Pakistan ont connu la semaine dernière leur confrontation militaire la plus meurtrière depuis la guerre qu'ils se sont livrée en 1999.
Dans la nuit du 6 au 7 mai, l'Inde a tiré des missiles sur des sites pakistanais qui abritaient, selon elle, des membres du groupe jihadiste qu'elle soupçonne d'être l'auteur de l'attaque qui a fait 26 morts le 22 avril à Pahalgam, au Cachemire indien.
Le Pakistan, qui a nié toute responsabilité dans l'attaque, a aussitôt riposté.
Pendant quatre jours, les deux armées ont échangé tirs d'artillerie, frappes de missiles et attaques de drones, nourrissant les vives craintes d'escalade des capitales étrangères.
- "Système international détruit" -
A la surprise générale, Donald Trump a annoncé samedi un cessez-le-feu immédiat, aussitôt confirmé par les deux belligérants. Le président américain s'est depuis félicité d'avoir "empêché" une "mauvaise guerre nucléaire" dans laquelle "des millions de personnes auraient pu être tuées".
Jeudi, le groupe des ex-personnalités formant les "Sages" ("the Elders") plaidait à Tokyo pour la non-prolifération nucléaire.
L'ancien Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a particulièrement tiré la sonnette d'alarme pour l'Asie du Sud.
"Il y a une possibilité que le système international de la sécurité soit entièrement détruit: si l'Inde ou le Pakistan utilise des armes nucléaires", a-t-il dit.
L'ex-président colombien Juan Manuel Santos, lui, s'est demandé "où est l'ONU? Pourquoi n'est-elle pas intervenue?".
La trêve est respectée à la frontière entre les deux pays jusque-là, mais la rhétorique reste très agressive.
"L'Inde ne tolèrera aucun chantage nucléaire", a lancé lundi soir le Premier ministre indien Narendra Modi.
L'Inde a catégoriquement démenti ces derniers jours des informations faisant état d'une frappe sur un site nucléaire pakistanais.
"Nous n'avons pas touché (le site nucléaire pakistanais de) Kirana Hills et ce qui s'y trouve", a assuré lundi un général de l'armée de l'air indienne, AK Bharti.
Ce site, qui passe pour abriter l'arsenal nucléaire pakistanais même si cela n'a jamais été confirmé ou infirmé, est à environ 200 km des différentes villes frappées récemment par des missiles indiens.
Le porte-parole du ministère indien des Affaires extérieures, Randhir Jaiswal, a lui aussi assuré mardi que l'opération militaire de son pays était "restée du domaine conventionnel".
Tout au long de la crise, le Pakistan a répété que l'option nucléaire n'était pas sur la table.
"Un tel conflit (nucléaire) serait une absurdité. Il serait inconcevable et d'une stupidité crasse car il mettrait en péril 1,6 milliard de gens", a dit le porte-parole de l'armée, le général Ahmed Chaudhry.
L'Inde est dotée depuis les années 1990 de l'arme atomique, délivrée par des missiles sol-sol de portée intermédiaire. Des missiles longue portée sont en cours de test, selon les experts.
- "Réponse ferme" -
Le Pakistan dispose pour sa part de missiles nucléaires sol-sol et air-sol, de portée courte ou intermédiaire. Il a réalisé ses premiers tests en 1998.
L'armée pakistanaise assure que les frappes indiennes ont tué 40 civils, pour moitié des femmes et des enfants, et qu'elle a perdu 13 soldats. L'Inde fait état de 16 civils et 5 soldats tués sur son sol.
Malgré la détente sur le terrain, l'Inde et le Pakistan assurent qu'ils ne baissent pas la garde.
"Si une autre attaque terroriste vise l'Inde, nous lui apporterons une réponse ferme", a averti lundi soir M. Modi devant son pays.
"Toute nouvelle tentative de défier la souveraineté du Pakistan ou son intégrité territoriale suscitera une réponse rapide, globale et décisive", a répliqué l'armée pakistanaise.
A Karachi, la grande ville du sud côtier, plusieurs milliers de manifestants ont défilé en soutien à l'armée, alors qu'Islamabad a décrété vendredi journée de "d'hommage aux forces armées".
L'Inde et le Pakistan se disputent la souveraineté de l'ensemble du Cachemire depuis leur partition sanglante à leur indépendance en 1947.
Le sort de ce territoire himalayen, peuplé en majorité de musulmans, a suscité plusieurs guerres entre les deux pays. Depuis 1989, sa partie indienne est le théâtre d'une insurrection séparatiste qui a fait des dizaines de milliers de morts.
Jeudi encore, trois rebelles présumés ont été tués lors d'un accrochage avec les forces de sécurité indienne, a rapporté à l'AFP un responsable policier sous couvert d'anonymat.
burx-pa/sbh/jp/cn
I.Mertens--LCdB