Dans un labyrinthe de tunnels creusés dans de hautes montagnes d'Asie centrale, des mineurs s'affairent à chercher de l'antimoine au Tadjikistan, deuxième producteur mondial de ce métal critique dont la demande mondiale explose.
"Nous effectuons des travaux de forage pour déterminer quelles sont les ressources minérales souterraines", résume Imonkhassan Iorov, l'un des quelque 1.500 employés de l'entreprise tadjike Talco Gold, qui a accordé à l'AFP un rare accès sur le site de Saritag (ouest).
Fourmillant dans la cinquantaine de kilomètres de galeries souterraines, les mineurs prospectent pour trouver de l'or mais surtout, caché profondément dans la roche, de l'antimoine.
Ce métal gris argenté aux propriétés multiples est utilisé tant pour la transition énergétique, intégré aux batteries de véhicules électriques ou installations photovoltaïques, que par l'industrie de l'armement, renforçant blindages et munitions.
Des montagnes du Tadjikistan et du Kirghizstan aux steppes du Kazakhstan, en passant par les déserts d'Ouzbékistan et du Turkménistan, toute la région vibre au rythme des découvertes de métaux et terres rares.
Ces dernières années, la Russie, l'Union européenne, les Etats-Unis, des pays arabes et asiatiques se sont lancés dans la chasse aux immenses réserves centrasiatiques pour réduire leur dépendance à la Chine, dominant le secteur.
Chez Talco, chaque équipe "fore 50 mètres pour l'exploration géologique" afin de récupérer des échantillons et "creuse 54 mètres de tunnels" en une demi-journée, explique Kholmakhmad Khakimzoda, chargé des travaux souterrains de ce gisement exploité conjointement avec Pékin, très implanté en Asie centrale.
- "Industrialisation accélérée" -
"De très nombreux gisements d’antimoine se trouvent au Tadjikistan", dit à l'AFP Mourod Djoumazoda, directeur-adjoint de Talco Gold, qui pèse 10% du marché mondial de l'antimoine.
Selon l'Institut d'études géologiques des Etats-Unis (USGS), la Chine représente près de la moitié de la production mondiale d'antimoine, suivie du Tadjikistan (25%), avec 21.000 tonnes en 2023.
"On extrait l'antimoine aussi bien par des méthodes souterraines qu’à ciel ouvert", explique M. Djoumazoda, face à un ballet de véhicules et d'équipements neufs principalement chinois, mais aussi suédois et finlandais, concassant la roche dans des carrières.
A l'instar du tungstène, du cobalt ou du magnésium, l'antimoine fait partie des 34 matières premières classées "critiques" par l'Union européenne, craignant une pénurie causée par "la concentration d'une part importante de la production mondiale dans quelques pays" et d'un manque d'alternatives.
Ce métal est rare et cher: en 2023, 54% des importations européennes provenaient du Tadjikistan, selon Bruxelles, et son prix a atteint des records l'an passé après les restrictions d'exportations chinoises.
Pour le Tadjikistan, cette ruée soudaine vers les métaux est une aubaine pour relancer son économie, la plus fragile de l'ex-URSS, marquée par la guerre civile des années 1990.
Partout chez Talco Gold, d'immenses citations et portraits du dirigeant Emomali Rakhmon, au pouvoir depuis 1992, rappellent l'importance du secteur pour ce pays majoritairement agraire.
L'une d'elles proclame que "d'importantes réserves de matières premières permettent d’assurer une industrialisation accélérée", une "exigence" de M. Rakhmon, qui a désigné la période 2022-2026 comme étant celle du "développement industriel, quatrième objectif stratégique national".
- Chine incontournable -
Avant d'être exporté, le minerai extrait chez Talco est concassé dans l'usine d'enrichissement, où "5.000 tonnes sont traitées quotidiennement, broyées dans deux tambours" immenses, montre dans le vacarme Faïzoullo Safarov, l'un des responsables.
Pour extraire l'antimoine de la pierraille, "le métal est séparé du minerai à l'aide de réactifs chimiques à l’atelier de flottation", détaille M. Safarov.
Puis "le concentré est filtré et séché dans des bassins de décantation", dernière étape avant d'être emballé dans des sacs, sous forme de sable "contenant en moyenne 30% d’antimoine pur", explique le spécialiste.
Chez Talco, ces travaux ambitieux ont été lancés en 2022 grâce aux investissements de Pékin, co-détenteur du gisement de Saritag.
Ce projet reprend le flambeau de celui entamé à l'époque soviétique par Moscou: les galeries soviétiques en partie rebouchées sont toujours visibles, tout comme plusieurs mosaïques glorifiant l'extraction d'antimoine, ou un pâle portrait de Lénine, fondateur de l'URSS.
Mais Pékin, puissance incontournable en Asie centrale en passe de détrôner la Russie et son influence historique, a désormais la main.
Et c'est avec avec le dirigeant chinois Xi Jinping que s'affiche le président Rakhmon sur une pancarte les présentant comme la "clé dorée de l'amitié Tadjikistan-Chine".
Un partenariat grandissant qui profite à Talco, qui veut devenir la première entreprise mondiale, avec l'ouverture prochaine d'une usine de traitement pour purifier l'antimoine.
S.Denis--LCdB